L’histoire du camp de concentration de Natzweiler en Alsace annexée

Les grands projets architecturaux du IIIe Reich

Les 21 et 23 mai 1941, trois cents détenus du camp de concentration (Konzentrationslager, KL) de Sachsenhausen arrivent à l’auberge du Struthof, domaine skiable prisé des Strasbourgeois avant-guerre, situé sur la commune de Natzwiller. Ce sont eux qui construisent la route et le camp d’abord situé autour de l’auberge (camp bas). La construction du camp haut, situé à 800 mètres d’altitude sur les contreforts vosgiens, commence en 1942. Natzweiler est le seul camp de concentration érigé sur le territoire français, en Alsace alors annexée de fait par l’Allemagne nazie. Edifié pour exploiter une carrière de granit rose afin d’alimenter les projets architecturaux monumentaux du IIIe Reich, le site s’oriente à partir de 1943 vers l’exploitation de la main-d’œuvre concentrationnaire pour soutenir l’économie de guerre. La carrière devient un centre de démontage de moteurs d’avions pour Junkers tandis que 53 camps annexes se développent des deux côtés du Rhin. Le camp est aussi le théâtre de sinistres expériences médicales. En avril 1943, une chambre à gaz est aménagée dans la salle de bal où 86 Juifs sont assassinés en août pour la collection de squelettes juifs du professeur Hirt. La construction du camp est parachevée avec le déplacement du four crématoire, situé près de l’auberge, dans un bâtiment à l’intérieur du camp en octobre 1943.

50 000 détenus

50 000 détenus sont internés au camp et dans ses camps annexes, appartenant à différentes catégories : travailleurs forcés polonais et soviétiques, Juifs, Tsiganes, homosexuels, détenus de droit commun, asociaux, Témoins de Jéhovah. Plus de trente nationalités sont représentées parmi les déportés, avec une majorité de Polonais, de Russes et de Français. À partir de septembre 1943, le KL Natzweiler est désigné pour recevoir tous les détenus Nacht und Nebel (Nuit et brouillard) masculins d’Europe de l’Ouest. Ces détenus, dont beaucoup de résistants, sont destinés à disparaître sans laisser de traces. 
 

Déshumanisation et mort, le quotidien des déportés

Les conditions de détention sont extrêmement difficiles. Les prisonniers sont parqués dans 13 baraques auxquelles s’ajoutent deux baraques annexes (bureaux et cuisines) et les baraques Bunker et crématoire en contrebas. Les conditions climatiques extrêmes, la faim dévorante, l’hygiène déficiente, les violentes quotidiennes ou encore le travail exténuant à la carrière ou dans les camps annexes expliquent une mortalité importante. Le camp est également le théâtre de centaines d’exécutions par pendaison ou par fusillade de détenus immatriculés au camp ou de prisonniers envoyés par les services de la Sipo-SD comme ces treize jeunes de Ballersdorf, réfractaires à l’incorporation dans la Wehrmacht, fusillés le 17 février 1943 ou les 106 résistants du réseau « Alliance » et les 35 maquisards du Groupe Mobile d’Alsace-Vosges assassinés dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944 où. De 1941 à 1945, environ 17 000 déportés meurent au sein du complexe concentrationnaire de Natzweiler, dont 3 000 dans le camp souche, soit un taux de mortalité d’environ 40%. 
 

Dessin illustrant le travail au Kommando des brouettes, chargé de transporter depuis la carrière jusqu’au camp des matériaux, pour la construction de bâtiments dans le camp. Dessin d’Henri Gayot, déporté NN. Crédit ONaCVG/CERD, avec l’aimable autorisation de la famille Gayot.

La découverte du camp en marge de la libération de Strabourg

Le 25 novembre 1944, un détachement de la 3e division d’infanterie américaine découvre un camp vide, 6 000 détenus ayant été évacués en septembre. Mais le calvaire continue jusqu’à fin avril 1945 pour les déportés, transférés à Dachau et dans les camps annexes de Natzweiler qui, cas unique, continue d’exister sans son camp souche.

L’après-guerre, le temps de la mémoire

De sa libération à 1949, le camp est réutilisé par les autorités françaises d’abord comme camp d’internement de collaborateurs puis comme centre pénitentiaire. Rapidement, les autorités développent un projet mémoriel sur le site. Le camp est classé monument historique en janvier 1950 puis un projet de conservation est élaboré l’année suivante. Conçu comme un mausolée pour les milliers de corps disparus dans le crématoire, le Mémorial des martyrs et héros de la déportation est inauguré par le général de Gaulle le 23 juillet 1960. Représentant une flamme, le monument de 40 mètres de haut, visible depuis la vallée, arbore sur sa façade interne la silhouette émaciée d’un déporté. La dépouille d’un déporté inconnu, symbole des victimes des camps, et 14 urnes renfermant de la terre ou des cendres provenant des différents camps de concentration, sont placés dans un caveau au pied du Mémorial. Dans la nécropole nationale adjacente, reposent 1117 corps exhumés des camps et des prisons nazis. La transmission, notamment auprès des jeunes, de l’histoire du complexe concentrationnaire de Natzweiler et de ses détenus, de la Résistance contre le nazisme et de la mémoire des victimes sont au cœur des missions du Centre européen du Résistant déporté, inauguré par le président de la République Jacques Chirac le 3 novembre 2005.
 

Photographie prise le 02/12/1944 illustrant un résistant FFI (Forces françaises de l’Intérieur) et un soldat américain inspectant le four crématoire et ses différents outils. Crédit photo : USHMM, of courtesy NARA, College Park [77584]