Tous les aspects du camp sont réglementés, la mort ne fait pas exception. L’administration nazie a tout prévu, y compris le sort des cendres des déportés incinérés dans le four crématoire. Dans la plupart des cas, les cendres sont rejetées dans le bassin de décantation des eaux usées, l’endroit que l’on nomme aujourd’hui la Fosse aux Cendres. Cependant, il existe une exception concernant les déportés de nationalité allemande.

Heinrich Himmler, Reichsführer-SS et responsable de l’ensemble du système concentrationnaire publie, le 20 février 1940, un arrêté qui précise les règles liées à l’annonce de la mort des déportés et à la gestion de leurs dépouilles. Ce règlement prévoit plusieurs éléments, notamment la réglementation sur les urnes qui peuvent être utilisées, la nécessité de mettre une plaque d’identification du déporté au sein de l’urne et les réglementations concernant l’aspect financier de la gestion des corps.

A la mort d’un déporté allemand (les déportés Alsaciens et Mosellans appartiennent à cette catégorie), la famille reçoit une lettre précisant le décès de ce-dernier et les causes officielles qui ne correspondent pas toujours à la réalité. Les commandants de camps de concentration ont ordre de les personnaliser alors qu’il s’agit d’un formulaire prérempli. Ce document indique que la famille peut récupérer les cendres de leur proche, mais à condition que les autorités locales de leur lieu de résidence aient déjà prévue l’enterrement de l’urne car les familles ne sont pas autorisées à en disposer.

Les cendres sont, après la crémation, placées dans des urnes imperméables à l’air et l’eau, comme celles conservées aujourd’hui dans les collections du CERD. Jusqu’à 1942, le document indique qu’une plaque d’identification doit être placée dans l’urne. Le document évoque une plaque métallique, mais il semblerait que l’administration du KL Natzweiler ait préféré l’utilisation de galets en céramique. Les témoignages concernant le fonctionnement du crématoire font mention de galets placés dans la bouche des déportés décédés pour identifier les cendres après la crémation. De nombreux galets sont conservés aujourd’hui dans les collections du CERD. Les urnes sont stockées dans une pièce adjacente au four crématoire. Après refroidissement, les cendres (ou plutôt les restes osseux car ceux-ci ne sont pas broyés) sont placées à l’intérieur d’une urne avant d’être confiées à la Politische Abteilung (Département politique) du camp qui dispose d’un service d’état civil, chargé d’organiser le transfert de l’urne. Le règlement stipule que si la crémation doit être gratuite alors que le transfert de l’urne est en principe payant.

En effet, certains témoignages stipulent que l’administration n’expédie pas simplement l’urne à la famille, mais demande un paiement qui dépend de la qualité de l’urne. Il en existe en effet trois modèles différents. Le premier en terre cuite rouge est le moins cher, ne coûtant que 50 Reichsmark ce qui est déjà une somme importante pour l’époque (environ 7 jours de travail en 1939 selon le salaire moyen sur une journée de 10 heures). Un modèle un peu plus grand en terre cuite noire coûte 60 Reichsmark alors que le modèle le plus cher, en tôle émaillée de couleur noire s’échange contre la somme de 70 Reichsmark.

Il est à noter que la procédure peut varier puisqu’un document daté du 24 mai 1944 et édité par la Kommandatur du camp précise que l’envoi de l’urne est effectué sans frais (kostenlos). Ce document a été envoyé à la famille du déporté Karl Voltolini, mort de maladie à l’infirmerie du camp. On note que son frère Engelbert est décédé lui aussi à l’infirmerie de maladie à 24 heures d’intervalle, ce qui entraîne l’envoi par l’administration d’un courrier au premier.  

La délivrence des urnes au familles est un bon exemple des difficultés que l’on peut rencontrer lorsque l’on étudie des sujets historiques car les sources peuvent donner des informations différentes parfois contradictoires. L’arrêté publié par H. Himmler en 1940 et les témoignages évoquent avec concordance des paiement alors que le document cité précedemment indique le contraire. Ces différences peuvent s’expliquer par des modifications normatives au cours du temps dans le fonctionnemnt du système concentrationaire.

Le Centre européen du résistant déporté conserve aujourd’hui dans ses collections un nombre important d’urnes vides, témoignant de cette gestion des restes des défunts allemands. Celles-ci sont toujours visibles dans la pièce où elles étaient stockées pendant la période concentrationnaire à proximité de celle du four crématoire. Dans cette pièce, se trouve également une urne contenant vraisemblablement les cendres des 29 kilos de cheveux et de poils encore présents au camp lors de sa découverte en novembre 1944. Deux urnes provenant du camp et contenant de la terre et des cendres prélevées dans d’autres camps se trouvent également parmi les urnes présentent dans le Mémorial des Martyrs de la Déportation au centre de la Nécropole nationale du Struthof au-dessus du camp.

 

Sources utilisées

Archives :
Archives ITS Arolsen
Archives du Dépôt Central des Archives de la Justice Militaire

Publications :
BRANGÉ  J. Etude architecturale et fonctionnelle de l’ancien camp de Natzweiler-Struthof : Croisement des données archivistiques et archéologiques - Vol.2 : Mémoire de Master Archéologie de l’Europe Moyenne sous la direction de Michaël Landolt et Jean-Jacques Schwien, Faculté des Sciences Histories de Strasbourg, 2021

STEEGMANN R. Struthof Le KL-Natzweiler et ses kommados une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin 1941-1945, La Nuée Bleue, 2005

BERTRAND N. L’enfer réglementé, le régime de détention dans les camps de concentration, Perrin, 2015

La Fosse aux Cendres – Photo ONaCVG/CERD

Un galet en céramique portant un numéro d’identification Collections du CERD – Photo ONaCVG/CERD

Une urne en tole émaillée et une en terre cuite rouge – Collections du CERD – Photo ONaCVG/CERD

Document envoyé à la famille de Karl VOLTOLINI décédé au camp – Dépôt Central des Archives de la Justice Militaire (DCAJM)

Les urnes dans la baraque du four crématoire – Photo ONaCVG/CERD