Série de caricatures des membres du réseau de résistance « Alliance »

Pièces d’archives issues du dossier rassemblant les auditions, interrogatoires, dépositions et autres documents relatifs à la procédure dite du “Camp de Schirmeck” clôturée par le jugement 81 du 3 février 1954 par le tribunal permanent des forces armées de Metz. Cette procédure est conservée au dépôt central des archives de la justice militaire (DCAJM) à Le Blanc (département de l’Indre).

Ces pièces d’archives extraites d’une collection particulière constitutive de dessins, représentent des caricatures de membres du réseau de résistance « Alliance », arrêtés et emprisonnés au camp de sûreté de Schirmeck-Vorbruck, situé à proximité du camp de concentration de Natzweiler.
Ces caricatures ont été réalisées par Jean Chaudière (1897-1944), commandant dans l’armée française, ancien combattant de la Grande Guerre, chef du secteur « Méditerranée » du réseau « Alliance » sous le pseudonyme d’Isatis. À la suite de son arrestation par la Sipo-SD le 9 août 1943, Jean Chaudière est déporté au camp de sûreté de Schirmeck-Vorbruck où il arrive le 29 avril 1944, accompagné de deux autres membres du secteur de Nice du réseau « Alliance », Yvette Legroux et André Dujat des Allimes.
Fait exceptionnel, Louis Le Meur, sous-officier d’aviation, chargé des liaisons pour « Alliance », en coordination avec l’équipe « Avia », a lui aussi croqué les portraits de ses camarades d’infortune. Nous disposons ainsi de deux séries de dessins des membres du réseau « Alliance » durant leur détention au camp de Schirmeck. Certains ont été retrouvés par hasard dans une bouteille enfouie sous la terre battue de la baraque 10 par l’ancien détenu alsacien Léo Frick, chargé du nettoyage de cette baraque. 89 autres dessins et esquisses, remis aux geôliers pour les amadouer, réalisés sur 55 feuilles enfermées dans un étui de carton marron avec comme couverture « L’omelette d’œufs durs par un vieux poussin », ont été récupérés par deux officiers français dans les archives du camp de Schirmeck disséminées à Strasbourg et Rastatt.
Ces dessins réalisés au camp de Schirmeck ont permis l’identification de ses camarades de détention et une meilleure connaissance des conditions de vie dans ce camp. Ils ont été précieux pour reconstituer la liste des 106 membres du réseau massacrés dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944.

Le réseau « Alliance » est créé en août 1940, deux mois après la défaite de la France.
À ce stade, la résistance est avant tout un ensemble d’initiatives diverses, souvent individuelles, encore hésitantes. Dans ce contexte, le commandant Georges Loustaunau-Lacau et Marie-Madeleine Fourcade ont l'idée de créer un réseau de résistance chargé de transmettre des renseignements aux Britanniques et aux Français Libres. Baptisé « Alliance », surnommé l’Arche de Noé par les nazis parce que ses membres ont pour pseudonyme des noms d’animaux, ce réseau est relié à l’Intelligence Service (services secrets britanniques) en 1941.
En 1943, le réseau « Alliance » compte environ 3 000 membres dont un quart sont des femmes.

Spécialisé dans le renseignement, le réseau organise aussi une filière d'évasion et d'exfiltration pour les aviateurs alliés abattus et tous ceux désireux de poursuivre le combat aux côtés des Alliés.
Signe des difficultés logistiques auxquelles se heurte la Résistance, le réseau « Alliance » ne reçoit son premier poste de radio qu'en avril 1941. Mais à l'automne 1941, six radio-émetteurs fonctionnent puis une cinquantaine en 1943.
Les principaux renseignements fournis par le réseau « Alliance » concernent les mouvements des sous-marins allemands dans le cadre de la Bataille de l’Atlantique, les nouvelles armes allemandes, le positionnement des bases de lancement des fusées V1 et V2 et des défenses côtières sur le littoral de l’Atlantique en prévision du débarquement.

À partir de 1943, la répression s’abat sur « Alliance ». Du fait du travail très efficace du réseau, les Allemands mettent en œuvre de grands moyens pour le démanteler. En effet, l’Abwher (contre-espionnage) et la Sipo-SD (police de sécurité et service de sécurité de la SS) conjuguent leurs efforts. Avec l’aide de deux agents infiltrés au sein du réseau « Alliance », ils portent des coups sévères à ses membres.
La première « chute d’Alliance » intervient entre janvier et avril 1943 et démantèle une grande partie de l’organisation. Les victimes sont déportées en mai 1943 vers des prisons du Pays de Bade pour être jugées. Des procès devant le tribunal de guerre du Reich ont lieu à Fribourg-en-Brisgau en décembre 1943 et Karlsruhe (février 1944) et se soldent par de nombreuses condamnations à mort suivies d’exécutions à Karlsruhe (14 agents le 1er avril) et Ludwigsburg (15 agents le 23 mai).
Malgré les pertes, le réseau se reconstitue.
La seconde « Chute d’Alliance » débute en juin 1943 et prend un tour décisif avec l’arrestation de Léon Faye le 16 septembre 1943. Déporté au camp de concentration de Mauthausen (Autriche), il est condamné à mort en août 1944 et exécuté à Sonnenburg en janvier 1945. Ses 24 camarades condamnés avec lui sont fusillés à Heilbronn le 21 août 1944. Par conséquent, Marie-Madeleine Fourcade le remplace et devient la seule Française à la tête d’un réseau de résistance durant la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs centaines de résistants du réseau sont arrêtés au cours de cette deuxième vague répressive.

Les 9 et 16 mars, deux convois de résistants partent vers le camp de Schirmeck où ils arrivent les 10 et 17 mars. Le choix de Schirmeck n’est pas étonnant puisque le BdS Alsace est en charge de l’affaire qui a commencé par l’arrestation d’un résistant d’« Alliance » à Strasbourg. Ce choix s’explique aussi par la saturation des prisons allemandes du pays de Bade et par les capacités d’accueil du camp. Plusieurs autres convois sont ensuite organisés : 25 et 28 avril 1944, 18 mai 1944 et enfin le 14 juillet 1944.
Les résistants sont tous classés « Nacht und Nebel », c’est-à-dire, destinés à disparaître sans laisser de traces. Dès leur arrivée au camp de Schirmeck, les hommes sont enfermés dans la prison du camp (Bunker) et dans le baraquement n°10. Les femmes sont quant à elles enfermées dans le garage du camp.
Malheureusement, il n’existe aucun témoignage sur la vie des détenus au bunker et au garage, puisqu’aucun d’entre eux n’a survécu. En revanche, le docteur Jean Lacapère, unique rescapé du réseau à Schirmeck (transféré au camp de Gaggenau le 2 septembre 1944 et libéré le 6 avril 1945), a laissé un témoignage sur la vie au « block » 10. Dans ce dernier, les conditions d’incarcération étaient très dures pour les membres du réseau : isolement total, interdiction de communiquer même à l’intérieur du camp, privation de nourriture, envoi au cachot, coups et brimades multiples.

À la fin du mois d’août 1944, 106 membres du réseau « Alliance » s’attendent à quitter le camp de Schirmeck. En effet, les Alliés approchent et des gardiens évoquent un repli du camp.
Le 1er septembre 1944 au soir, ils quittent le camp, mais sans bagages. Une camionnette les emmène par groupes de douze et jusqu’à l’aube, elle revient toutes les deux heures.
Conduits au camp de concentration de Natzweiler, situé à dix kilomètres de Schirmeck, ils y sont tous assassinés durant la nuit du 1er au 2 septembre 1944, quelques jours avant l’évacuation du camp.
Les membres du réseau sont abattus d’une balle dans la nuque dans une pièce du « block » crématoire et incinérés directement dans le four situé dans le même bâtiment. Jean Chaudière est au nombre des victimes. 35 membres du GMA Vosges sont également assassinés.

Fin novembre 1944, en vertu d’un ordre du chef de la Gestapo du Reich Heinrich Müller qui ordonne l’exécution des résistants du réseau « Alliance » afin qu’aucun ne tombe entre les mains des Alliés, des massacres sont opérés sous la supervision de Julius Gehrum de la Gestapo de Strasbourg à Kehl (9 victimes), Rastatt (12 victimes), Offenbourg (4 victimes), Bühl (8 victimes), Pforzheim (27 victimes) et au camp de Gaggenau (9 victimes), camp annexe de Schirmeck. Au total, 437 agents du réseau meurent fusillés, massacrés ou en déportation.

Sources

  • Archives du Dépôt central de la Justice Militaire, Le Blanc : procès de Natzweiler (1958/05/28/575), procès de Schirmeck (1954/02/03/81).
  • Collectif d’auteurs ; Association Amicale « Alliance », Mémorial de « L’Alliance », Paris, 1947, 80 pages.
  • Caraès, Guy, Le réseau Alliance – Histoire inédite du plus grand réseau de la résistance française. 1940-1945, Éditions Ouest-France, 2021, 633 pages.
  • Fourcade, Marie-Madeleine, L’arche de Noé – Réseau « Alliance ». 1940-1945, Paris, Plon, 1999, 648 pages.
  • Pollack, Guillaume, L’Armée du silence. Histoire des réseaux de Résistance en France. 1940-1945, Paris, Éditions Tallandier et Ministère des Armées, 2022, 543 pages.
  • Thomas Fontaine et Cédric Neveu, « Les chutes du réseau Alliance », in https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/les-chutes-du-reseau-alliance
  • Christine C. Ruisi, Nom de code Isastis. Ce que je sais de lui, Nice, Ovadia, coll. Histoire et Destinées, 2020, 242 pages.

 

 

 

Caricature représentant Martial Poupeau, Étienne Girard et Fernand Rézeau, membres du réseau « Alliance » détenus au camp de Schirmeck. Crédit : collection particulière

Caricature représentant Mathieu Saint-Jouan, André Collard et Frédéric Culot, membres du réseau « Alliance » détenus au camp de Schirmeck. Crédit : collection particulière

Caricature représentant Georges Arnoux, Émile Glevarec, Henri Ichon, et Louis Labalec, membres du réseau « Alliance » détenus au camp de Schirmeck. Crédit : collection particulière

Caricature représentant Paul Perrot, membre du réseau « Alliance » détenu au camp de Schirmeck.
©DCAJM Le Blanc : DCAJM_1954_02_03_000081

Noms codés des secteurs et lieux géographiques d’implantation du réseau « Alliance ».
©Association L’Alliance